Cheng Tsung-lung, chorégraphe et directeur artistique de Cloud Gate a toujours été fasciné par les histoires que racontait sa mère en particulier à propos du street artiste des années 60, «13 tongues». Ce conteur légendaire avait la réputation de pouvoir représenter n’importe quelle âme vivante de Bangka, le plus vieux quartier de Taipei City, riche de temples, rites religieux et parades festives.
Dans 13 Tongues, Cheng Tsung-lung par l’intensité du souvenir, transforme ceux de son enfance, des rites taoïstes et de la vie urbaine de Bangka, il va faire un monde fantastique.
Le son métallique d’une petite cloche déploie le paysage sonore qui fusionne folk taiwanaise, chansons nakashi japonaise et musique électronique. Avec derrière eux une étrange projection qui rappelle les couleurs des temples, les danseurs bougent dans des positions assises et se déplacent tel des serpents. Ils chantent des mantras mystérieux, tapent du pied et tremblent comme des chamans envoûtés, jusqu’à ce que la lumière se tamise et que les motifs fluorescents de leurs costumes brillent à travers l’espace, comme si on venait d’invoquer des milliers d’esprits de la Bangka ancienne. Une Déesse s’envole et lévite au dessus de la tête d’adorateurs vêtus de noir. Une carpe Koi apparaît dans la projection, remuant ses nageoires, puis disparaît dans le vide…
À la fois réelle et chimérique, la pièce entraîne le spectateur dans un voyage aussi captivant que l’histoire de 13 Tongues où les frontières entre divinités, esprits et êtres humains sont subtilement dissoutes.
Une danse en clair obscur et en fluorescences raffinées, indéniablement nimbée de mystère où les danseurs en tunique noire sont en osmose, dans l’impulsion d’un envoutement fait rituel, dans la tension spirituelle de paroles psalmodiées, drues. Cheng Tsung-lung entend restituer à la fois la nature sauvage des êtres humains et le flot délié du mouvement des corps. Comme dans une fable ou un mythe, la carpe géante en surplomb des interprètes évoque son monde fantastique, il entrebâille ainsi la porte de nos guerres intérieures dans une épure d’une grande beauté.