C’est un programme touffu, échevelé, contradictoire et fascinant que propose Antonin Artaud dans la série d’essais réunis dans Le Théâtre et son double. Son livre présente ce paradoxe d’être à la fois une invitation pressante à faire du théâtre mais aussi à s’interroger sur sa possibilité ou son impossibilité. Artaud non seulement voit grand, mais son langage sans concession bouscule radicalement nos certitudes.
Comment restituer cette parole, qui tient autant du chuchotement que de la déflagration, dans l’espace de la scène ? Après s’être abondamment penché sur la question, Gwenaël Morin se frotte aujourd’hui à cette expérience vertigineuse en installant public et acteurs dans un espace aux vastes proportions, imaginé par le scénographe Philippe Quesne : une bulle immense dont la voûte élevée évoque une cathédrale, et la blancheur le ventre de Moby Dick, la baleine rêvée par Herman Melville. « Le plus bel art est celui qui nous rapproche du chaos », écrit Artaud, voulant dire notamment par là que l’art nous met en contact avec le mystère de la condition humaine.
En abordant l’ensemble de l’œuvre d’Artaud, et pas seulement Le Théâtre et son double, c’est à une confrontation avec cette dimension énigmatique que Gwenaël Morin convie le spectateur dans ce qui ressemble à un rituel enflammé non dépourvu d’humour alternant parties chantées, participatives, improvisées ou écrites. Une invitation à partager la force d’une oeuvre d’autant plus stimulante que s’y confronter est à chaque fois comme un retour aux sources.
Hugues Le Tanneur