Dans le cadre du Portrait Boris Charmatz présenté par le Festival d’Automne à Paris.
Créé en 1996 par un chorégraphe de 23 ans, Aatt enen tionon posait d’emblée des questions radicales : qu’est-ce que la danse sans circulation des corps, sans échange sensoriel entre les interprètes, et surtout, sans recours à aucune des « ficelles du spectaculaire » ? Le résultat – un fascinant trio « confiné » dans un échafaudage métallique ouvert sur trois niveaux – se regarde aujourd’hui comme une prémonition étrange de nos univers contemporains.
En plaçant les trois danseurs – dont lui-même – dans des conditions contraintes, sans possibilité de se toucher ni de se regarder, Boris Charmatz réduit le geste à ses plus infimes variations et le spectacle à son essence. Privé d’interaction, chaque protagoniste est aussi limité dans ses déplacements. Sur une surface vitale réduite aux dimensions de sa plateforme, il se livre à un exercice solitaire d’introspection gestuelle, à l’écoute de ses propres organes. Le public, à l’inverse, jouit d’une vision d’ensemble. Appréciant les décalages ou les synchronies naissant de ces exercices individuels, il recompose par son regard une partition commune.
Ce que Charmatz décrit comme « un bloc chorégraphique monolithique » s’avère donc une construction au « désordre strict » infiniment complexe, qui affirme plus que jamais le pouvoir intrinsèque de la représentation. La tension qui, en dépit de tous les obstacles, naît entre ces trois corps distanciés, aux mouvements guidés par leur seule logique interne, est aussi simple que puissante.
Isabelle Calabre