Comment un bouffon put-il faire trembler un Roi ? C’est que les monstres révèlent avant tout la monstruosité des sociétés qui les engendrent. Ainsi la Monarchie de Juillet ne supporta-t-elle pas le miroir que lui tendit Le Roi s’amuse : au lendemain de la Première du 22 novembre 1832, la censure scella le sort du drame de Victor Hugo.
Vingt ans plus tard, Verdi sut voir dans les bouffonneries de Triboulet un théâtre digne de Shakespeare et entreprit d’en faire un opéra. Avec Rigoletto, qui deviendra le premier volet de sa trilogie populaire, le compositeur fait sa révolution : le bel canto se plie aux nécessités du drame. Dans la nuit sordide de Mantoue, le chant dit la grâce et la laideur, le sublime et l’absurde de ce bouffon maudit qui veut sauver sa fille et finit par la tuer.
Richard Brunel perçoit dans cette musique la puissance d’une danse de mort. Situant sa mise en scène dans le cadre strict et hiérarchisé d’un ballet – lieu d’excellence et de rivalités – il remplace le corps difforme du bouffon par la violence invisible des corps normés, sélectionnés et meurtris. Ne dérobant jamais le drame aux yeux de cette micro-société, il s’attache à retracer une histoire de la vengeance, du refoulement au passage à l’acte.