Un homme parle, immobile, réduit à l’immobilité après un attentat dont il a été victime. Il se souvient de la déflagration, puis tout s’est volatilisé, dispersé. Le voilà devant une fenêtre à Ostende, livré, condamné à ses pensées, ses souvenirs, ses observations minutieuses. Il aperçoit un chantier important en train de s’édifier : on construit apparemment un haut mur qui peu à peu envahit l’espace de la fenêtre, cache la vue, obscurcit et enferme la chambre où il est. Pensées et souvenirs s’obscurcissent à leur tour. La déflagration semble revenir. Il y eut un choc si violent, si total.
L’homme, en réalité, était-il mort sur le coup ?
Je connais Jean-Philippe Toussaint depuis quelques années, j’ai enregistré le texte de Football, mais je le lis depuis 1984 à peu près, accueillant chacune de ses œuvres avec émotion. J’aime son style, son humour, sa clarté même dans la mélancolie. En le lisant, je peux penser simultanément à Hergé, à Jean-Jacques Rousseau (pour la limpidité d’écriture), et au cinéaste Lee Chan-Dong, qui a fait Poetry et Burning.
Il me fit don de ce texte il y a un peu plus d’un an dans un café à Paris, où il voulait me le remettre en mains propres. J’étais étonné de cette discrétion, comme si nous étions dans un film d’espionnage. Il ne l’avait pas publié (chez Minuit, comme tous ses livres), et ne le publierait pas encore : seulement, sans doute, quand je le jouerais. Bon, très bien, je le reçus comme le début d’une mission : faire passer ce texte dans la chambre d’écho d’un théâtre.
Comment donner à entendre (à voir ?) ce flux de pensées, de sensations, de réminiscences ? Et comment faire avec la mort, toujours présente, déjà là, ombre et instant ?
Il fallait un espace particulier, inédit. Aurélien Bory s’est intéressé au projet. Dans le café où nous nous sommes aussi rencontrés, il s’est mis à griffonner de petits croquis autour du thème de la fenêtre qui s’obture peu à peu. Quantité d’espaces différents ont affleuré dans l’imaginaire commun qui s’édifiait doucement.
Cette réflexion est très stimulante. Je relis plusieurs fois le texte, disons la pièce. S’y manifeste une grande inquiétude, qui est notre commune et sourde inquiétude à tous. Inquiétude qui perd son nom, sa forme, son contour, tant elle s’accroît, se diffuse, tout en semblant parfois s’évaporer. Je suis à la fois plus sensible à l’acuité tranquille de la langue, et au soufflé de l’explosion. Elle balaye le monde en une seconde, et nous habitons cette seconde là, avec élégance, raffinement.
J’espère que nous nous acquitterons bien de la mission. C’est aussi, à mon sens, une des missions du théâtre : donner voix, corps, espace et temps à la prose des grands écrivains, à la littérature de notre temps bizarre.
Denis Podalydès