Une religion vaut-elle mieux qu’une autre ? Alors qu’elles sont à nouveau convoquées pour justifier les incendies d’aujourd’hui, la question est d’actualité. La pièce de théâtre de Lessing Nathan le Sage, publiée en 1779, est une ode à la tolérance et un texte fondamental du siècle des Lumières. Il met en scène le juif Nathan et sa fille adoptive, la chrétienne Recha, dans la Jérusalem tout juste conquise par le musulman Saladin au XIe siècle. Recha vient d’être sauvée d’un incendie par un jeune croisé qui bientôt demandera sa main. Pourtant Nathan le tolérant, Nathan qui vient de démontrer à Saladin avec la célèbre parabole des anneaux que la religion la plus parfaite ne pouvait être que celle qui rend les êtres bons, ce Nathan-là ne peut accepter ce mariage. C’est que d’autres liens rapprochent les personnages entre eux…
Dans cette création en français, le metteur en scène allemand Nicolas Stemann mêle au texte de Lessing un «drame secondaire» qu’il a commandé à l’auteure autrichienne Elfriede Jelinek. Celle-ci fait entrer dans le texte original les états du corps, le désir, les passions et les conflits que l’auteur classique avait écartés au profit de son idéal de tolérance et de fraternité. S’inspirant de faits divers récents, décrivant le capitalisme comme quatrième monothéisme, Jelinek fait entendre par contraste le texte de Lessing tout en l’interrogeant, montrant alors que la tolérance nécessite aussi d’assumer les conflits. Le théâtre de Nicolas Stemann, inventif, vif, libre et musical, aussi joyeux que cruel dans son ironie, s’allie ici à ces deux auteurs pour déjouer autant l’idéalisme que le cynisme et se mettre au service d’une conscience éveillée et clairvoyante pleinement inscrite dans notre époque.