J’ai écrit Lazzi pour Philippe Torreton et Vincent Garanger. Écrire pour, cela signifie écrire depuis.
C’est écrit depuis chacun et depuis la relation d’amitié artistique qu’ils entretiennent. Cette relation, je l’ai vue naître dans une salle de répétitions stéphanoise, au début des répétitions de J’ai pris mon père sur mes épaules, pièce qu’Arnaud Meunier m’avait commandée et qu’il a mise en scène.
Je connaissais bien Vincent pour l’avoir dirigé à deux reprises, pour Quand j’étais Charles et pour le dernier épisode du feuilleton écrit en compagnie de Pauline Sales, Docteur Camiski ou l’esprit du sexe. C’est un acteur fantastique. Je rencontrais Philippe pour la première fois. Et la rencontre fut portée par l’évidence que nous avions en commun des paysages intérieurs, une parenté.
Nous avons souhaité poursuivre le dialogue initié à Saint-Étienne.
Lazzi évoque la fermeture d’un vidéoclub qui serait le dernier au monde. Voilà : deux hommes ont aimé des films, deux hommes les louait pour une petite somme, deux hommes rêvaient de cinéma, ils en parlaient volontiers avec des clients surannés qui faisaient de leur vieux magnétoscope un fétiche adoré, avant que la poussière n’envahisse tout, avant que le monde tourne, avant Netflix, avant Amazon, avant le streaming. Ils partent s’installer à la campagne, se refaire, se reprendre, se retrouver. Retour à la nature et maison hantée : c’est le programme. Car le fantôme d’Orson Welles n’est jamais loin, lui qui veille sur ce Quichotte implosif et son Sancho volcanique – un veuf, un divorcé, perdus l’un et l’autre sous la Voie Lactée, en attente d’un futur sensé.
La notion de sujet est flottante, ambiguë, éclatée. La pièce ne traite d’aucun sujet. Sur la table de travail, quel était le vrac qui est toujours pour moi le sujet le plus juste qui sous-tend un projet ?
Il y avait ces deux hommes-là, leurs réponses à des questions posées, il y avait l’amitié, une grande idée de l’amitié, une anecdote rapportée par un ami qui travaillait dans le dernier vidéoclub de Suisse, une citation de Godard ancrée dans mes années lycéennes, une maison dans le Morvan, le souvenir de sept moutons que j’ai eu envie de frapper à mains nues et puis quelques films de Rouch, Carax, Welles. Le sujet de la pièce, c’est cette petite pile d’images et de sensations, qui se heurtant finissent par produire un monde.
Je crois pouvoir dire que Lazzi est une comédie. Une comédie minée par l’absence de femmes ; les femmes absentes y écrivent en silence l’histoire de deux hommes abandonnés l’un à l’autre, au seuil de tout. Et au bout du générique final, une question, implicite, planquée : où est le rêve jamais rêvé ? Celui qu’on rêve de cueillir quand on se sent perdu face à la brutalité du réel, face à l’insondable présent.
Sans ce rêve vierge de tout rêveur, est-ce qu’on peut recommencer une vie ?
Fabrice Melquiot