Le spectacle commence dans un état d’alerte. Bruits et machines évoquent des opérations de surveillance et résonnent comme des avertissements.
Les Acteurs qui occupent la scène ont été recrutés à travers un appel public et n’ont pas appris leur rôle. Ils l’apprennent en même temps qu’ils le jouent. Leur rôle consiste à exécuter des ordres transmis par oreillettes.
Pour participer au spectacle, ces acteurs ont signé un pacte par lequel ils déclarent exécuter fidèlement ces ordres. Il s’agit d’un engagement qu’ils doivent être en mesure de tenir jusqu’au bout. Ici s’arrête la libre conscience. A partir de là commence l’expérience de l’aliénation au cours de laquelle ils agiront sans se préparer.
Ce dispositif, bien loin d’être une improvisation féconde ou une invitation au spontanéisme, annule le temps de la conscience et le réduit à néant. Il impose un principe de vitesse maximum qui dévore tout entre-deux critique.
Il semble coïncider avec une forme d’abandon de soi, d’oblation, dans laquelle l’acteur s’annulerait lui-même dans son rôle, un rôle que les Acteurs ne connaissent pas. Les gestes qu’ils exécutent semblent, vus de l’extérieur, “intimes”, et ils le sont. Mais nous savons aussi que ces gestes sont “intimés”, dans une obscure connexion entre intimité et injonction, dans une frénésie qui ne laisse aucune place à la réflexion.
Semblables, comme des frères. A moins qu’il ne s’agisse peut-être de la multiplication hallucinée d’une même personne qui, en un seul moment, condense des centaines d’actions successives.Leur ressemblance est renforcée par l’uniforme dont ils sont revêtus. C’est l’uniforme bien connu des policiers américains du passé. Ce rappel iconographique est là pour invoquer la Loi qui prépare et déclenche le dispositif du désastre. Le comique comme hardcore de la Loi. La puissance du comique comme mécanisme fondé sur le bas matérialisme du corps et sur le désordre fait basculer l’événement dans une dimension obscure et troublante. Le policier, dont le devoir est de faire respecter la Loi, devient ici le vecteur d’une Loi qui se métamorphose régulièrement en farce.
– Romeo Castellucci
Avec cette dernière création, Romeo Castellucci, grand maître d’un théâtre d’images radical, imagine un langage scénique inédit en réunissant sur scène un groupe d’hommes anonymes, vêtus d’uniformes des célèbres policemen américains, consentant à exécuter le spectacle en recevant les ordres reçus par oreillette sans savoir vers quoi ils tendent.
Mettant à l’épreuve notre rapport à l’ordre et aux violences inhérentes à la Loi, notre libre-arbitre et nos responsabilités collectives, le metteur en scène italien signe un manifeste esthétique et politique sidérant qui questionne les dérives sécuritaires de notre société. Un théâtre comparable à aucun autre.
Romeo Castellucci a déjà été accueilli deux fois aux CDNO, sous le mandat d’Oliver Py, avec Genesi en 1999 puis Voyage au bout de la nuit en 2002