Ubu sur la butte, en découvrant ce texte mal connu et peu joué d’Alfred Jarry, j’ai été immédiatement saisi par la cruauté qui s’en dégage. La cruauté et le rire !
Plus encore que le fameux Ubu Roi, cette version raccourcie, brusque, directe (initialement écrite pour marionnettes) m’a totalement fasciné. Car ce frottement constant entre le rire et l’effroi est ici irrésistible et implacable.
Tout va vite : le premier roi meurt en vingt lignes e la guerre arrive trois scènes plus tard ! Jarry ne s’appesantit sur rien, il va à l’essentiel, il trace sa route comme un bulldozer et dévaste tout sur son passage. Toute la société en prend pour son grade. Et sa force poétique n’en est que plus perturbante. Car tout est bien là : l’étrangeté et la beauté de la langue, la figure irrésistible d’Ubu, la subversion…
Ce texte à vif, sans fioriture, cet Ubu « pour marionnettes », déchargé de toutes psychologies, d’explications rassurantes, résonne incroyablement aujourd’hui. Ce personnage légendaire d’Ubu apparaît ici encore plus brut que dans l’original. Sa violence sans limite, son avidité, son attachement au pouvoir, son outrance se déploient devant nous et nous questionne irrémédiablement par le rire. Il n’y a aucun filtre.
En tant qu’acteur, je retrouve d’une certaine manière l’endroit de jeu que nous demande Valère Novarina quand nous sommes en création : c’est à dire d’être plus bêtes que ce que nous faisons et de jouer comme des enfants qui officient dans une « messe pour marionnettes ».
Cet endroit de jeu a été notre moteur au cours de la création de ce spectacle avec les acteurs. Du jeu et de l’invention !
Explorer cette oeuvre comme une matière première, comme un diamant brut à tailler sans polir… Rien édulcorer et par-là même, faire accéder à l’oeuvre un public le plus large possible.
Car l’enjeu est bien pour nous celui-là. Offrir au plus grand nombre et en particulier à des spectateurs qui fréquentent rarement les salles de théâtre, une oeuvre majeure à la fois par sa contemporanéité et par la puissance de réflexion qu’elle provoque.
D’où l’idée initiale d’un quadri-frontral et d’un dispositif scénique léger, assez minimal, pour justement se poser facilement dans des lieux différents et variés, nous permettant ainsi d’aller à la rencontre de tous.
En lecture, le texte dure à peine trente minutes. Nous avons donc eu tout l’espace de le projeter dans sa fulgurance et de le faire respirer et vibrer à travers cet univers pittoresque et inquiétant du sport, et en particulier de l’aérobic et de la GRS inventé par les plasticiens Clédat & Petitpierre.
Cette aventure conçue avec cette bande d’acteurs-créateurs (et actrice) se place donc pour moi sur l’idée de réunion et de rencontre vers de nouveaux publics, dans la joie, dans le plaisir de jeu, avec ce texte matériau puissant.
Olivier Martin-Salvan