« C’est que le rêve concerne ceux qui ne rêvent pas. Le rêve de ceux qui rêvent concerne ceux qui ne rêvent pas, et pourquoi ça les concerne ?
Parce que dès qu’il y a rêve de l’autre il y a danger. A savoir que le rêve des gens est toujours un rêve dévorant qui risque de nous engloutir, et que, les autres rêvent, c’est très dangereux, et que le rêve est une terrible volonté de puissance, et que chacun de nous est plus ou moins victime du rêve des autres, même quand c’est la plus gracieuse jeune fille, c’est une terrible dévorante, pas par son âme, mais par ses rêves. Méfiez vous du rêve de l’autre, parce que si vous êtes pris dans le rêve de l’autre vous êtes foutu ».
Deleuze lors d’une conférence sur le cinéma à la Femis.
Quand j’ai entendu Deleuze parler de cette notion du rêve dévorant, du rêve comme terrible volonté de puissance, j’ai tout de suite été frappé par le rapprochement qui pouvait se faire avec le thème de la mouette. Cette ligne de force qui imprègne toute la pièce, comme celle d’une ligne de vie, et qui se retrouve chez chacun des personnages, dans leur intérieur, dans leur volonté de vivre, survivre, dévorer l’autre pour se maintenir Soi, pour sauvegarder à tout prix son Rêve.
Avec ce lac qui englouti ces êtres, ces vies, les souvenirs, le temps, le passé.
Cette « mouette » est pour moi la matière la plus appropriée et intime pour être le point de départ d’une nouvelle étape dans mon travail.
Cette interrogation sur l’art et l’amour qui constitue la pièce. Je ressens de manière impérieuse l’envie d’aller vers de la création, avec une nouvelle approche face à l’œuvre que je vais mettre en scène.
J’ai tout de suite eu envie de retraduire la pièce, de la faire résonner avec « ceux » que nous sommes aujourd’hui. Puis cela m’a guidé vers une adaptation libre, vers de l’écriture personnelle. Vers le désir de faire exister au plateau des scènes nouvelles, inventées et parfois pensées pour se jouer au plateau et parfois pour êtres filmées.
Partir de la pièce donc, de son histoire, pour aller vers une version neuve, une « forme nouvelle » comme pourrait le dire Treplev. Aller vers l’écriture de plateau, l’écriture filmique. La création par l’Image(s). Il y aura donc des mots des mots des mots… Les mots accouchés sur le papier en amont, ceux accouchés par les comédiens en répétitions. Durant toutes celles-ci, les guider vers cette place d’acteur « auteur ».
Cette place de créateur, de liberté, d’un langage inventé pour ce spectacle.
Faire coexister le plateau avec le film. Deux dramaturgies qui se répondraient, se contiendraient.
Benjamin Porée