Le professeur Bernhardi, médecin et directeur d’une clinique renommée, refuse à un prêtre l’accès à la chambre d’une patiente, à laquelle ce dernier veut donner l’extrême onction. En phase terminale d’une infection sanguine suite à un avortement qui a mal tourné, la jeune femme délire et se croit guérie. Bernhardi considère de son devoir de médecin et d’humaniste de lui permettre une « mort heureuse » en la maintenant dans son illusion. De son côté, le prêtre tient à son devoir religieux de gardien des âmes. Tous deux échouent : tandis qu’ils discutent, la malade meurt, alertée avant cela de son état par le personnel hospitalier qui, contre la volonté du médecin, a signalé la venue du prêtre. Pour Bernhardi, qui est d’origine juive, cet accident malheureux se transforme rapidement en un scandale politique qui menace de ruiner son existence et celle de sa clinique. On lui reproche de s’en prendre à dessein aux sentiments religieux chrétiens. Rapidement, un antisémitisme latent émerge et enfle. Pour protester contre Bernhardi, le conseil de direction de l’institut se désolidarise de lui. Des concurrents au sein du corps médical usent délibérément de ressentiments antijuifs afin de suspendre Bernhardi et d’intégrer, avec leurs amis, des postes haut-placés. Au Parlement, les populistes de droite obtiennent même l’ouverture d’une procédure pénale contre Bernhardi. Le ministre en charge Flint, un ami et ancien camarade d’université de Bernhardi, lui refuse finalement son soutien, afin de ne pas compromettre son propre programme politique avec cette affaire. Mais Bernhardi bénéficie soudain du soutien de l’extrême gauche, qui veut faire de lui un martyr. Ne voulant pas être instrumentalisé à leurs propres fins politiques, il renonce à une lutte ouverte contre le mensonge et pour sa réhabilitation.
Professeur Bernhardi est l’un des rares textes dramatiques explorant minutieusement un contexte professionnel au-delà du cadre émotionnel et familial de ses personnages. Le monde professionnel de l’hôpital y est traité en modèle réduit d’une société dominée par le carriérisme, la concurrence et le ressentiment, à l’antisémitisme latent. Dans sa mise en scène de cette comédie de Schnitzler – c’est avec cette ambiguïté que l’auteur qualifiait sa pièce – Thomas Ostermeier s’attache particulièrement à la question de savoir comment un cas isolé peut devenir systématiquement instrumentalisé par un groupe afin de satisfaire ses propres intérêts et désirs de pouvoir ; comment des faits apparemment indiscutables peuvent être déformés et relativisés au point que « l’objectivement vrai » perde peu à peu ses contours. Que reste-t-il de la vérité lorsqu’elle se retrouve pulvérisée en interprétations divergentes ?