Il y a eu une première version de Je m’appelle Ismaël, lue en 2016 par Charles Berling et des élèves du Groupe 43 de l’École du TNS : Ismaël, au lendemain des attentats de 2015, se souvient qu’il est d’origine étrangère. Ravagé par ce qui a eu lieu et n’osant plus s’aventurer dehors par peur des regards hostiles, il s’invente un «ailleurs intérieur» – qui balaye toute frontière temporelle et géographique. Dans la solitude, il cherche un espace de réconciliation. C’est une pièce en soi. Dans la nouvelle version, Ismaël est toujours ce même personnage que la société jugerait «déconnecté du réel», qui marche dans les rues de Paris et de la banlieue, écoute, perçoit, ressent, que la violence du monde agresse et qui, pour ne pas sombrer, réinvente des mondes à partir de ce qu’il vit et voit. Il entrevoit une porte d’où faire jaillir les histoires qui le traversent – et où son imagination n’aurait pas de limites : le cinéma. La science-fiction. […]
Le spectacle s’articulera en deux temps : La Vie en rose est un film qui raconte la vie d’Ismaël, jusqu’à ce qu’un acteur le sauve de la noyade. Comme l’acteur est blond aux yeux bleus, Ismaël le prend pour le Jésus de son film, son double, son «jumeau dissemblable». Puis Ismaël disparaît – est-il mort ? Ou parti vivre dans les méandres de son film ? Sur scène, commence alors une enquête : qui était-il? Comment reconstituer ce film qui l’obsédait tant ? C’est la confrontation entre la brutalité et le rêve qui m’intéresse. La science-fiction permet de faire cohabiter différentes réalités, d’interroger ce en quoi nous «croyons» et d’aborder autrement la question de l’identité – dans tout ce que le genre SF peut avoir d’exagéré, voire d’absurde. Pour moi, cette question dépasse le cadre des origines : comment laisser la place aux émotions indéfinies, aux expressions multiples, à la poésie qui, par essence, n’est pas «intégrée» à notre monde ? C’est de cela dont parle Je m’appelle Ismaël : refuser l’idée d’un monde homogénéisé, fermé à l’autre. C’est le mystère de l’être qui me passionne, sa part d’insaisissable. «J’ai rêvé plus que jamais Napoléon ne rêva» écrit Pessoa. C’est ce dont je veux parler : l’espace de création qui existe en chacun, les possibilités d’existence qui n’ont pas encore eu lieu, n’ont pas encore été explorées mais sont déjà en vie à travers nos rêves. »