Les théâtres sont vides depuis plusieurs mois. Les représentations dans des salles pleines sont interdites jusqu’à nouvel ordre. Alors, la boîte noire théâtrale devient un “white cube” muséal et le Théâtre s’expose. Les salles résonnent encore de ces moments qui reliaient les spectateurs·trices; des tempêtes d’émotion, de rires, de larmes et d’applaudissements. Que reste-t-il d’un spectacle de théâtre, éphémère par nature ? Les enregistrements, les critiques et même les ouvrages des metteur·e·s en scène ne rendent compte que d’une infime partie de la performance. Les hormones, la matière, les odeurs, ont laissé d’autres traces.
Le foyer, la scène, les loges, la régie lumière désertés ont le charme des ruines. Le plateau et ses abords sont comme les vestiges temporaires d’un lieu de rencontre rituel, les restes archéologiques d’une société en représentation. À quel point peut-on simuler, reproduire techniquement ce qui s’est passé ici ? Que se passe- t-il si la machine-à-simuler-le-monde se met en marche toute seule et que le spectateur se retrouve en son centre ?
Le Covid-19 rend possible ce qu’aucun théâtre ne peut d’ordinaire se permettre : faire jouer la maison entière pour une seule personne à la fois. Un spectateur·trice est invité·e à venir dire au revoir au bâtiment du Théâtre de Vidy avant qu’il ne soit démonté pour être rénové. Comme le “stalker” de Tarkovsky, il ou elle s’aventure muni·e d’écouteurs dans les couloirs, dans les coulisses, à travers le gradin le public est absent. Au temps de la distance sociale et de l’isolement, se pose la question du sens de la communauté.
Stefan Kaegi (Rimini Protokoll) convoque des expert·e·s de la politique, de la mémoire et de l’illusion, des personnes dont la vie est liée à ce Théâtre de Vidy et à l’idée du théâtre et des spectres se manifestent – des technicien·nes, des comédien·nes, un agent de sécurité, un critique, une dramaturge, une costumière, Charles Apothéloz, une personnalité politique, l’équipe d’entretien, un spectateur psychiatre, Matthias Langhoff, une spectatrice… – Un chemin se trace dans les dessous du théâtre, dans le subconscient de notre société, à travers les multiples couches du palimpseste de la mémoire.
Les enregistrements binauraux, les musiques, les bruits du lieu et les récits se superposent aux réminiscences du spectateur, de la spectatrice pour produire un souvenir hautement subjectif. En une plongée archéologique, la conscience pénètre au cœur de qu’était, ce qu’est et ce que pourrait être le théâtre.