Rattachée au courant expressionniste allemand auquel elle a activement participé – notamment en tant qu’interprète de Mary Wigman –, Dore Hoyer (1911-1967) tient dans l’Histoire de la danse une place singulière, à la frontière des styles et des époques. En 1962, en plein essor de la danse abstraite américaine, elle crée Afectos humanos, une série de courtes pièces qui donne corps à une vaste gamme de sentiments, où la Vanité, le Désir, la Haine, la Peur et l’Amour sont ciselés par une puissante expressivité. De cette oeuvre inclassable nous est parvenu un film en noir et blanc, tourné en 1967, peu de temps avant sa mort. Quelque cinquante ans plus tard, ce travail a croisé la route de la chorégraphe et danseuse Paula Pi. De cette rencontre est né le désir d’expérimenter ce que cette danse pouvait
lui faire, et ce qu’elle avait encore à exprimer, aujourd’hui. À la question de la transmission de cet héritage est venue se superposer celle de l’écart qui nous sépare de Dore Hoyer, des problématiques et des préoccupations qui étaient les siennes en 1962. Cet écart, comment le rendre perceptible, en donner une mesure par le corps, la parole, l’espace, avec les outils et les codes esthétiques de notre époque ? Paula Pi a choisi de traiter ces affects humains non dans le sens d’une restitution, mais d’une enquête utilisant le documentaire, la performance, le concert, la conférence et le, spectacle. Au fil d’allers-retours entre maintenant et alors, elle varie les points de vue, reconstituant une archive vivante et fragile où chaque élément est réinterrogé, scruté et partagé. Dans l’entrebâillement de cette faille temporelle s’infiltrent la clarté du geste et l’incertitude du sens, le désir de partage et les aléas de l’interprétation.