Voisins et amis l’assurent, c’était une famille sans problèmes. Pourtant, le 27 septembre 2007, on a retrouvé dans leur maison de Coulogne (Pas-de-Calais) les corps pendus des époux René et Marie-Christine Demeester, âgés de cinquante-cinq ans, ainsi que de leur fils Olivier, trente ans, et de leur fille Angélique, vingt-huit ans. En guise de justification, ils ont laissé ce message : « On a trop déconné. Pardon. » Les enquêtes de police n’ont donné aucun résultat ; la justice a classé l’affaire.
Quatorze ans plus tard, Milo Rau revient sur cette trouble histoire, non pour l’élucider, mais pour exposer le spectateur à quelque chose qui relève au contraire du mystère. Interprété par un couple d’acteurs flamands, Ann Miller et Filip Peeters, et leurs filles Louisa et Léonce – lesquelles montent pour la première fois sur les planches –, le spectacle clôt une trilogie entamée avec Five Easy Pieces puis La Reprise.
Dans un décor réaliste surmonté d’un écran où sont projetées des images filmées en direct, on les voit cuisiner, lire Harry Potter, regarder des films ou parler au téléphone. Rien que de banal, donc. Mais c’est de cette banalité même saisie dans l’intimité de leurs conversations, de leurs attitudes, de leurs gestes, que naît l’énigme à laquelle Milo Rau entend nous confronter en reproduisant ces actions à la fois si habituelles et lourdes de sens. Comme si au sein même de la vie la plus ordinaire pouvait se lover une irrépressible capacité de déraillement.
Hugues Le Tanneur