En 1774, Christoph Willibald Gluck se rend à Paris, à l’invitation de Marie-Antoinette. Le compositeur a déjà réformé l’opera seria, composant une musique qui suit le drame et son expression sans l’étouffer sous les ornementations inutiles. À Paris, Gluck va révolutionner la tragédie lyrique. Tournant la page de Lully et de Rameau, il va profondément redéfinir le style français. Iphigénie en Tauride est l’expression de cette révolution artistique.
Iphigénie n’a pas péri à Aulis. Elle n’a pas été sacrifiée par son père Agamemnon afin d’assurer des vents favorables à sa flotte en partance pour la Guerre de Troie. Diane, la déesse de la chasse, a eu pitié d’elle. Elle a remplacé in extremis la jeune fille par une biche, puis l’a menée en Tauride où elle a fait d’elle l’une de ses prêtresses. Là-bas, Iphigénie vit loin du monde et de sa famille – les Atrides – dont l’histoire a toujours été marquée par un cycle de violences incluant meurtres, parricides, fratricides et incestes. Un jour, elle voit resurgir un fantôme en la personne de son frère Oreste – assassin de sa mère, poursuivi par les déesses de la vengeance – qui échoue sur le rivage. Iphigénie va alors devoir faire face à son passé traumatisant.
Dès les premières notes, Gluck déclenche sur scène une tempête, dont les éléments déchaînés semblent tout droit sortis de l’âme d’Iphigénie. La suite ne lasse pas de nous emporter : Iphigénie en Tauride est une course contre la mort. Habitée par la musique de Gluck, la langue française acquiert une puissance lyrique stupéfiante. Au siècle suivant, elle stupéfiera la génération romantique – qui vouera au compositeur allemand une admiration sans faille – dont Berlioz : “Le jour où, après une anxieuse attente, il me fut enfin permis d’entendre Iphigénie en Tauride, je jurai, en sortant de l’Opéra, que malgré père, mère, oncles, tantes, grands-parents et amis, je serais musicien.”