Au début de La grande bellezza de Paolo Sorrentino, un touriste s’évanouit en découvrant Rome qui s’étend à ses pieds depuis la Fontana dell’Acqua Paola. Selon Leonardo García Alarcón, c’est cette même beauté foudroyante qui nous saisit à l’écoute de Luigi Rossi, de la précision millimétrée de son écriture musicale et de la perfection de ses architectures harmoniques. Joyau oublié du répertoire baroque, son Palais enchanté dormit près de quatre siècles dans la bibliothèque du Vatican, avant que sa partition n’en soit exhumée par le chef d’orchestre argentin.
Des amants sont emprisonnés dans le labyrinthe du sorcier Atlante, qui a le pouvoir de modeler l’espace selon son bon vouloir. Parmi ces jeunes gens, Ruggiero, au secours duquel se porte la courageuse Bradamante. Inspiré du Roland furieux de L’Arioste, le livret du Palais enchanté croise les vies et destins de ces captifs à la manière d’un film choral.
L’argument est prétexte à un ouvrage monumental – 27 personnages, 16 solistes, des doubles et triples chœurs à 6 et 12 voix et plusieurs ballets – dans la plus pure tradition romaine. La création de l’œuvre-monde de Rossi dura quelque 7 heures, mêlant musique, chant, danse, théâtre et festins. Mais ce Palais enchanté est le dernier témoignage de ces fêtes fastueuses : nous sommes en 1642 et, bientôt, Rome passera sous la coupe austère du Pape Innocent X. Dans la ville qui s’apprête à revêtir ses habits de deuil, l’opéra brille de ses derniers feux.
Cette fureur de vivre, cette urgence à créer, Fabrice Murgia les ressent profondément dans Le Palais enchanté : comme s’il s’agissait de raconter une dernière fois le monde. Ce metteur en scène belge – qui se définit comme un enfant de Brecht et de Spielberg – excelle dans l’art de la vidéo live qui déstabilise notre perception du réel. Il situe sa mise en scène dans des lieux de solitude de notre mythologie contemporaine – aéroport, hôpital, chambre d’hôtel, parloir… – où viennent se perdre les âmes errantes du palais d’Atlante. En étroite collaboration avec Leonardo García Alarcón, il réveille les fragments de cet opéra qui ont traversé le temps pour en libérer toute la force dramatique.