Au début, il y a une pièce chorégraphique de Volmir Cordeiro, L’œil la bouche et le reste. Ou plutôt non : au début, il y a les images, les mots, les visages qui tissent l’imaginaire de cette pièce; une trame sous-jacente d’œuvres dialoguant entre elles – vidéos ou films reliés par des liens signifiants, subjectifs, par des accents, des échos, des correspondances, des intensités. Les images, les voix, les motifs qui composent ce monde fragmentaire, Volmir Cordeiro, accompagné par Marcela Santander Corvalán et Margot Videcoq les a transformés en exposition, qui tout à la fois prolonge la pièce et la déborde. Chacune pour elle-même et entre elles, ces œuvres indiquent des pistes critiques, politiques, esthétiques : une constellation construite autour de ce qu’on pourrait nommer, d’après Gilles Deleuze, la visagéité :« Le visage creuse le trou dont la subjectivisation a besoin pour percer », écrit-il. Qu’y a-t-il de commun entre Joséphine Baker, Samuel Beckett, Valeska Gert, Latifa Laâbissi – si ce n’est une certaine idée de l’énigme du visage – de ce qu’il articule, de ce qu’il émet : de son pouvoir d’expression et de sa force de résistance. « Le visage est une carte », écrit encore Deleuze. Sur cette carte spatiale, temporelle, charnelle, qui rayonne des débuts du XXe siècle jusqu’à nos jours, sont disposés l’œil, la bouche (et le reste) : ces trous par où s’engouffre le réel, par où le sujet reçoit et émet des signes, des fragments d’identité, des registres d’expressivité. Cette exposition raconte aussi une autre histoire des corps : histoire aux accents minoritaires, qui se déchiffre par les marges, et forme une communauté bruissante, déchirante, grimaçante, hilarante, dont les chants, les cris, les sourires ou les murmures se répercutent jusqu’à nous.
Interprète (avec Xavier Le Roy, Lia Rodrigues, Laurent Pichaud, Emmanuelle Huynh ou Vera Mantero), Volmir Cordeiro utilise le corps comme lieu de mélange, véhicule d’une expressivité troublante. Après un premier cycle de soli (Ciel, Inês et Rue), il crée L’oeil la bouche et le reste en 2017. Il est également chercheur, auteur d’une thèse sur les figures de la marginalité dans la danse contemporaine.
Interprète, notamment pour Dominique Brun ou Faustin Linyekula, Marcela Santander Corvalán collabore également avec le chorégraphe Mickaël Phelippeau. Après Époque, duo avec Volmir Cordeiro traversant l’imaginaire expressionniste, elle présente Disparue lors du festival DañsFabrik 2016. En 2017, elle crée MASH avec l’artiste Annamaria Ajmone, une pièce faite du mélange des langages chorégraphiques dont chacune est porteuse.
Après avoir été l’administratrice de Latifa Laâbissi et co-directrice du festival Extension sauvage, Margot Videcoq partage aujourd’hui son activité entre accompagnement de projets d’artistes (Volmir Cordeiro, Grand Magasin, Pauline Le Boulba, Martine Pisani) et programmation de spectacles et performances. Elle est commissaire avec David Sanson de la Biennale du Divers.