En 1974, la chaîne britannique Channel Four diffusait un projet ovni et novateur : un opéra télévisuel de près de trois heures réalisé par Robert Ashley. Figure phare de la scène alternative new-yorkaise, ce compositeur, vidéaste, écrivain et artiste de performance, a notamment inspiré Laurie Anderson ou encore Brian Eno.
Avec Perfect Lives, dont le seul titre révèle la part de cynisme de l’œuvre, Robert Ashley propose une galerie de portraits d’habitants du Midwest américain. L’opéra, divisé en sept parties, se déroule successivement dans un supermarché, un bar, une banque, une église, comme pour mieux souligner la banalité dégénérescente de leurs quotidiens. Esthétique pop, couleurs criardes, formes géométriques : Perfect Lives rappelle les musicals, tout en prenant un malin plaisir à en déconstruire les codes. La voix solitaire de Robert Ashley dialogue avec un piano, qui revisite un patrimoine musical fait de gospel, de fox-trot, de boogie-woogie, de blues, de jazz ou de valse.
Une telle audace télévisuelle paraît aujourd’hui impossible. C’est donc du côté de la scène qu’il est possible de redécouvrir ce projet hors-norme. Le groupe Matmos, réputé pour sa musique électronique expérimentale, interprète trois actes de Perfect Lives. Trente ans après sa création, cet opéra rare demeure toujours autant impertinent que jubilatoire.