On connaissait l’amour aveugle, mais il peut aussi être borgne… Convoitant sans succès la belle nymphe Galatée, le cyclope Polyphème, fils de Poséidon, est prêt à laisser éclater sa fureur. Mais le courage sans borne d’un berger amoureux et un aventurier nommé Ulysse vont contrarier les plans du titan…
On se mesure parfois à l’aune de son rival. Si le berger Acis est prêt à affronter le redoutable Polyphème, le compositeur Nicola Porpora devait, lui, soutenir la comparaison avec Händel. Au début des années 1730, le compositeur de Rinaldo domine encore une scène londonienne passionnée par l’opera seria. Mais Porpora a du répondant ! Écrit pour les deux castrats les plus célèbres de l’époque, Senesino et Farinelli, son Polyphèmeemprunte à Homère et Ovide pour mieux déchaîner les passions, dans les airs comme sur les mers. Au couple que forment Ulysse et Calypso, il associe celui d’Acis et Galatée, pour mieux raconter le trouble amour des nymphes pour les mortels… Et la colère d’un surhomme blessé.
Dans la mise en scène de Bruno Ravella, les monstres et les pyrotechnies chères au XVIIIe siècle sont devenues des évasions en technicolor. Des magies comme on en concevait à Hollywood dans les années 1950, avec leurs couleurs saturées, leur exotisme, leurs trucages à la fois raffinés et naïfs. Dans ce monde d’émotions fortes et hautes en contrastes, Emmanuelle Haïm, à la tête du Concert d’Astrée, retrouve ici sa période de prédilection et fait ressortir avec éclat les couleurs d’une perle du répertoire baroque, encore inédite en France.