« Échoué dans un vide-grenier de Montreuil, anonyme au milieu des bavardages vaporeux, des fripes molles et des livres négligés, ce Requin-là me saute aux yeux. Je le vois, comme on reconnaît un être familier. Alors, je sors 1 euro et l’emporte.
Transporté sous mon pull comme un trésor silencieux à protéger de la pluie, il n’allait ouvrir sa gueule que plusieurs mois plus tard. Heureusement, sinon il m’aurait dévoré la poitrine, serré sous le pull.
Requin s’est ouvert un soir d’hiver, depuis, je n’arrive plus à le refermer. Il m’a saisie à la gorge et ne me lâche pas. Je porte sa morsure, comme une blessure poétique, impossible à cicatriser.
Prise dans le vortex de ce livre fascinant ; je veux partager la sensation déclenchée par sa lecture, en l’amenant sur scène. Partager les mots d’un auteur qui raconte l’histoire d’un homme parti se baigner dans les eaux mornes d’un lac artificiel, et qui n’en reviendra pas. (…)
Voici le récit impromptu d’une vie trouée de honte, qui se diluera dans les profondeurs secrètes de sa propre confession. Alors qu’il sombre, c’est sa mémoire tourmentée de topographe taciturne, qui refait surface.
Cet homme qui n’est pas moi ; l’histoire de sa lente disparition, de son invisible trépas ; la discrétion presque risible de son enfouissement ; cette histoire incongrue qui pousse sous la plume de Bertrand Belin : je les reçois de plein fouet, comme fouette la vague. »
Laure Hirsig