C’est d’abord un simple accord du prélude qui fait trembler la tonalité et nous ouvre les portes de la nuit. Quitter la terre ferme. Plonger dans l’inconnu. Se noyer. Le chant nous arrache à nous-même et nous donne à voir et le passé et l’avenir. Tout est déjà contenu dans le premier regard qu’échangent les amants.
Pendant 4 heures d’une expérience musicale et mystique, Isolde et Tristan, vont se haïr, s’aimer, se séparer, mourir, se retrouver. En 1865, Richard Wagner – inspiré par sa passion pour Mathilde Wesendonck – offrait au monde ce qui devait devenir l’un des monuments de l’art occidental.
Si la tragédie, c’est pour les rois, alors Tristan et Isolde est une tragédie : il y a Marke, il y a le royaume, il y a la guerre et il y a la paix que l’on entend sceller par les noces du roi de Cornouaille avec cette princesse irlandaise. Ici, tout est public. Ici, tout est politique. Les amants sont les jouets d’enjeux qui les dépassent. Leurs choix, leurs actes affectent le monde et c’est pourquoi le monde fait obstacle à leur union. Mais ce monde peut aussi s’abîmer dans un simple regard. C’est en ça que le geste radical de Wagner nous touche : Tristan et Isolde nous dit qu’un seul instant a le pouvoir de remettre en cause la construction de nos vies.
Poète, metteur en scène, futur directeur du Festival d’Avignon, Tiago Rodrigues aime faire descendre les œuvres de leur piédestal pour les partager avec le public. Son théâtre unit dans un souffle le présent de la scène à la communauté éphémère des spectateurs. Il prend la forme de rituels fragiles et insolites : jouer une immense épopée avec deux comédiens, faire apprendre à une poignée de gens les vers d’un sonnet de Shakespeare, mettre en scène la souffleuse du Teatro Nacional Dona Maria II à Lisbonne.
Avec ses complices de création – les danseurs Sofia Dias et Vítor Roriz – il s’empare du mythe de Tristan et Isolde dont il suit le mouvement à travers les âges – au gré des transcriptions, des réécritures, des traductions, des malentendus, des erreurs et des errances. Il se fait à son tour le passeur de la légende qu’il conjugue au présent, écrivant sur le vide ces mots plus grands que nos corps.